Imprimer Revue EP&S n°98 - MAI 1969

LE SPORT ET LE DROIT en marge des jeux de Mexico

  • Claude Ducreux
  • Code : 70098-8

L'Université de Mexico et le Comité d'organisation des Jeux de la XIXe Olympiade avaient organisé, préalablement aux compétitions sportives, le premier Congrès International de Droit sportif.
Cette réunion correspond incontestablement à des préoccupations que la pratique de plus en plus fréquente du sport a fait naître chez les législateurs, les dirigeants sportifs et même les athlètes.
Ce congrès de Mexico marque donc une étape importante dans l'évolution des problèmes sportifs car, à partir du moment où des problèmes de structure et de droit se posent dans un domaine considéré, c'est que l'on a atteint dans ce domaine un degré d'évolution qui oblige les responsables à mettre sur pied des règles d'organisation, des règles de responsabilité, une réglementation qui, dans l'intérêt de tous, doivent être cohérentes et justes.
Ce premier congrès avait fixé son ordre du jour en l'axant sur de grands thèmes :
1° Organisation internationale du sport,
Fonction sociale du sport,
3° Organisation administrative des sports à l'échelle nationale,
Amateurisme et professionnalisme.
Il s'agissait là de problèmes extrêmement larges qui ne furent abordés, comme le souligna d'ailleurs liminai-rement le Président du Congrès, que sur le plan d'une « information ».
Chacun des participants avait eu la possibilité d'adresser des communiqués préalables qu'il était chargé d'expliquer et de développer en séance, sans qu'il y ait la possibilité d'une discussion approfondie mais seulement celle d'une information brève destinée à préciser et à compléter les questions à présenter.
Dans un récent article, édité dans la revue « Sport », revue belge de l'Education physique, des sports et de la vie en plein air, M. Jean Scheuer docteur en Droit, a procédé à une excellente étude portant notamment sur la synthèse des quatre thèmes principaux qui avaient été soumis aux congressistes.
Il semble intéressant de reprendre cette synthèse de M. Scheuer et, en la complétant d'informations que nous avons pu retirer des documents établis par les congressistes, de faire le point des problèmes qui ont été abordés.

I ? LES STRUCTURES ET LE DROIT DU SPORT INTERNATIONAL

La place du sport dans les relations internationales et, notamment, sur le plan de la Paix, a été une nouvelle fois soulignée.
Mais il a été en même temps regretté que les organismes qui dirigent ce sport international en général et le sport olympique en particulier, dont la destination fondamentale repose sur la paix et la fraternité, ne soient plus assez efficaces pour assurer la protection du sportif, et pour mettre fin aux conflits qui peuvent naître du fait de l'intrusion de la politique dans les problèmes sportifs à ce niveau international.
Il a été souhaité qu'une déclaration universelle des droits de la jeunesse et des sportifs fût étudiée et élaborée ; cette déclaration aurait, comme le souligne M. Scheuer dans son article, « une force juridique et morale qui serait comparable à celle que connaît la Déclaration universelle des droits de l'Homme ».
Sans peut-être aller aussi loin que notre confrère belge, il est incontestable que l'idée mérite d'être retenue et que l'adoption d'une telle charte permettrait la mise en place de principes fondamentaux d'où pourraient découler des structures qui, à l'heure actuelle, sont insuffisantes du fait, peut-être, de l'absence de l'énoncé et par suite même du respect de ces principes.
Sur ce plan, un certain nombre de communiqués faits au Congrès ont suggéré une révision des structures et des règles du Comité International Olympique, de façon notamment à écarter du mieux possible les influences extra-sportives.

II. ? ASPECT SOCIAL DU SPORT

Le Congrès de Mexico a permis de faire le point sur le rôle qu'incontestablement le sport joue dans la formation de la personnalité.
Toutefois, on peut regretter, comme l'a fait d'ailleurs M. Scheuer, que « le rôle du sport en ce qui concerne l'insertion de l'homme dans la collectivité » n'ait pas été assez mis en évidence.
Par ailleurs, d'autres commentateurs ont souligné que cet aspect très intéressant, relevait plutôt d'une étude sociologique que d'une étude juridique ; c'est semble-t-il pourquoi, la plupart des communications faites sur ce thème ont fait essentiellement ressortir les garanties que tous les Etats doivent aux citoyens pour ce qui est de l'enseignement et des possibilités de pratiquer les sports.
M. le Doyen Maillet, de la Faculté de Grenoble, faculté qui joua un rôle prépondérant dans l'étude de ces questions (nous pensons à la contribution importante de M. le Professeur Charpentier sur les problèmes de tourisme et de ski, a mis l'accent sur la nécessité de faire reconnaître par une législation ayant un caractère constitutionnel, la fonction sociale du sport, en énonçant les garanties auxquelles le citoyen peut avoir droit dans un tel domaine.
Si l'on en croit les différentes communications qui ont appuyé celles du Doyen Maillet, les Etats devraient promouvoir une intégration du sport dans l'ensemble social. Jusqu'ici ? et malgré cette constatation sociologique d'ordre général ? rien n'a été réalisé en ce sens ; sans doute parce que les Etats hésitent à se créer des nouvelles obligations à l'égard des citoyens, même si celles-ci correspondent à des aspirations psychologiquement et sociologiquement constatées par les savants et les spécialistes.
Il est en effet certain, qu'à l'heure actuelle, le sport apparaît comme une activité accessoire, se déroulant en annexe de toutes les autres formes de participation à la vie sociale.
Un sport « intégré », c'est-à-dire ayant une place habituelle et garantie par la loi, prendrait ainsi dans la vie une importance aussi normale que les loisirs, le travail, les transports, et toutes les formes d'activités qui correspondent à des usages bien définis, et indissociables d'un ensemble dans lequel les hommes vivent.
Le rôle formateur essentiel du sport trouverait ainsi sa place à l'école, ou à l'usine, et pratiquer un sport pourrait se faire aussi facilement que lire ou regarder une pièce de théâtre.
Ces conceptions correspondent à des faits scientifiquement constatés et d'où devraient, si on en tient compte, découler les structures souhaitées.
Malheureusement, s'il est bon que soient énoncées de telles vérités, dans la pratique, la réalité est assez différente.
Le sport est, dans beaucoup de pays, le fait de quelques-uns ou de quelques collectivités locales, ou de clubs, dont les moyens sont limités et chaque individu doit souvent consentir des sacrifices pour persévérer dans une activité sportive.
Ce sport qui repose sur des initiatives et des organisations, la plupart du temps privées, ou sur des collectivités aux pouvoirs limités, voit son développement se heurter à d'incontestables barrières :
1° La notion de liberté individuelle fait que le sport est encore pour beaucoup, notamment dans les pays de civilisation gréco-latine ou anglo-saxonne, un phénomène culturel correspondant à une notion de choix personnel ; les tenants de cette conception originaire craignent que si l'Etat ou des collectivités de grande importance s'engagent à assurer des garanties et à tenir des obligations, ils n'exigent en contrepartie l'adhésion à un certain nombre de règles mettant à la charge des pratiquants des obligations nouvelles attentatoires à ce qui leur reste de liberté sur le plan individuel.
Cette conception ne facilite évidemment pas l'évolution de la thèse sociologique.
2° L'action souvent désintéressée des collectivités privées ou publiques, de dimension limitée, entraîne obligatoirement le concours de dirigeants qui sont, la plupart du temps, bénévoles, et qui, malgré la foi qui les anime la plupart du temps ne peuvent pas consacrer tout leur temps à l'organisation des groupes sportifs pris en charge par eux, ni trouver les concours financiers qui sont indispensables ;
En conséquence, l'animation de ces groupes reste forcément réduite.
3° Si au contraire les collectivités qui se chargent de cette animation ont de grosses possibilités économiques, elles auront tendance à promouvoir des compétitions de haut niveau, qui, pour exemplaires qu'elles soient, garderont toujours un côté proche du spectacle qui diminue, quand il ne l'écartera pas complètement, le rôle essentiel de formation des individus.
C'est pourquoi les tenants de la thèse sociologique, qui a été particulièrement développée à Mexico, envisagent le recours à l'Etat.
Pour être juste et complet, il faut ajouter que les communications qui ont été faites à ce sujet ont presque toutes tenu compte du fait que l'Etat ne devait pas s'arroger un monopole et qu'il devait s'inspirer des deux remarques limitatives faites ci-dessus et promouvoir une organisation d'ensemble qui permette la protection de la liberté individuelle et respecte le dynamisme des animateurs privés.
Autrement dit, sur le plan pratique, il semblerait que les études futures des congressistes, si elles sont appelées comme on le souhaite à se poursuivre, porteraient sur des problèmes que l'on peut résumer de la façon suivante :
a) recherche d'une infrastructure à la charge de l'Etat, notamment en ce qui concerne l'équipement, partout où une collectivité importante s'est créée sur le territoire, dudit Etat.
b) fournir des crédits de fonctionnement.
c) établir une doctrine de caractère constitutionnel donnant au sport sa place réelle dans la vie sociale, avec tous les prolongements juridiques que cela comporte.
d) contribuer à la formation des moyens d'éducation, d'entraînement, et de fonctionnement, non seulement au stade des professeurs, des moniteurs ou des entraîneurs, mais également au stade des animateurs et des dirigeants.
On pourrait même concevoir, comme cela apparaissait dans les exposés du premier congrès d'étude, que soit portée à l'ordre du jour l'intégration sociale du sportif.

III. ? LE SPORT ET L'UNIVERSITE

Cela fait très longtemps que, notamment en France, sport et Université sont souvent examinés ensemble, mais il faut bien convenir que la pratique et l'organisation dans ce domaine n'ont jamais reflété cette double préoccupation.
Il s'agit pourtant là d'un des aspects des plus importants de la fonction sociale du sport.
C'est en effet à l'Université en premier lieu que l'Etat peut et doit donner les possibilités d'assumer un certain nombre de tâches indispensables.
Il est inutile de revenir sur la formation des spécialistes, éducateurs, moniteurs, professeurs, qui doivent être des techniciens d'encadrement hautement qualifiés et il faut plutôt mettre l'accent sur des tâches dont nous n'avons pas suffisamment conscience.
Il s'agit :
? du développement de la conception que, dans tous les domaines et pour tous les étudiants, le sport fait partie des activités sociales au même titre que le travail et les loisirs, et pour cela, il s'agit de toucher l'ensemble du corps professoral de l'Université afin de promouvoir un état d'esprit nouveau.
? Pour parvenir à ce stade, il faut au préalable former des médecins, des sociologues, des juristes, des psychologues et même peut-être des économistes, qui dans le cadre de leurs études générales pourront avoir de par leurs antécédants ou par leurs goûts ou de par leur destination, une formation complémentaire tournée vers le sport. Mais, on peut également concevoir la même formation annexe et spécialisée pour ce qui concerne l'administration et les opérations de financement.
Enfin, comme le souligne M. Scheuer, il ne faut pas oublier la recherche scientifique. C'est en effet à partir de constatations, de faits psychologiques, de faits sociologiques, comparés et étudiés par des savants que l'évolution a commencé à se faire, et qu'elle peut se poursuivre.
Les structures de l'Université sont en place, même si elles sont changeantes, et ce pour correspondre à une dynamique indispensable. Et c'est là le domaine où il semble qu'il puisse être fait application des idées nouvelles, l'Université nouvelle ayant au surplus vocation complémentaire à l'éducation permanente des animateurs, des dirigeants, des professeurs, en matière sportive comme dans toutes les autres disciplines.

IV ? LE SPORT, LE REGLEMENT ET LES RESPONSABILITES

Les congressistes se sont penchés sur certains éléments, un peu disparates, concernant les rapports réglementaires entre un sportif et un autre, ou entre un sportif et un dirigeant.
A ce sujet, on a examiné le problème du dopage et de ses conséquences juridiques ; on a examiné également celui de l'interdiction ou non de la boxe et étudié sans approfondir d'autres activités comme l'alpinisme et la spéléologie, en raison du fait qu'elles ont des aspects fort dangereux qui entraînent parfois des accidents de caractère mortel.
Ces questions sont très importantes, et il faut rendre justice à certaines fédérations sportives qui ont créé, pour les étudier, des commissions juridiques dont les travaux, non seulement ne manquent pas d'intérêt, mais qui, même pour certains d'entre eux, ont pu permettre de dégager des règles d'usage essentielles, de renseigner les pratiquants et de promouvoir des recommandations de sécurité.
Nous pensions notamment à la Fédération Nationale de Ski qui, sur l'initiative de la Commission Juridique de la Fédération Française de Ski, a créé un comité juridique, qui réunit, en dehors de membres de droit, un certain nombre d'experts, avocats, magistrats, professeurs notamment, qui ont fait, ces derniers mois et ces dernières années, évoluer les questions relatives au ski, de façon très Importante.
En France, la question du doping a été examinée par différents juristes au sein de plusieurs fédérations, de façon à adapter une réglementation aux nécessités de chaque sport.
Mais il serait souhaitable que les Fédérations, tant internationales que nationales, généralisent l'exemple des fédérations de ski, au lieu de s'en remettre, souvent par petites mesures d'économies mal placées, à une improvisation qui malheureusement se retourne quelquefois contre les imprévoyants, même s'ils étaient de bonne foi.
Les problèmes de responsabilité entre compétiteurs, ceux de responsabilité des organisateurs à l'égard des compétiteurs ou à l'égard des spectateurs sont extrêmement importants. Pour les apprécier, on a recours aux règles du droit commun, et les tribunaux, notamment en France, où ils sont fort évolutifs, contrairement à ce que l'on peut penser, essaient de se renseigner au mieux et de rechercher une règle d'usage pour apprécier ces problèmes de responsabilité. Il serait donc souhaitable que puissent se dégager, avec plus de certitude, ces usages, ces règlements internes, ou ces règles contractuelles, qui permettraient une plus juste appréciation des relations entre tous ceux que le sport intéresse en cas de difficulté, et même et surtout en cas d'accident.
C'est donc une lourde tâche que les congressistes n'ont fait qu'aborder, tâche dont ils sont tous conscients de l'importance, surtout si l'on veut tendre à une unification internationale.

V ? LE SPORT AMATEUR ET LE SPORT PROFESSIONNEL

La dernière préoccupation des congressistes portait sur ce problème et la démonstration a été faite de l'évolution sociale du sport et de la fonction sociale qui en découle.
On a insisté, lors de la réunion de Mexico, sur un élément assez particulier concernant les sportifs professionnels.
Certaines communications font état de ce que le professionnel était un travailleur lié à une organisation définie ou restant à définir, par une sorte de contrat de travail.
Il est exact que le sportif professionnel fournit des prestations de travail, assimilables à un lien de subordination avec un club de football par exemple, dans le cadre de l'organisation du football professionnel en France.
Comme le rappelle notre confrère Scheuer, un certain nombre de sénateurs belges ont d'ailleurs déposé un projet de loi fixant le statut social du sportif dans le cadre d'une législation relative au droit social.
Il a semblé à d'autres congressistes que cette thèse dépassait le domaine normal de l'activité sportive ; ceux-ci prétendent qu'il n'y a pas de lien de subordination entre le Club et le sportif et ce d'autant plus que le temps d'activité reste très limité.
Nous resterions donc dans le cadre d'un droit sportif, et non d'un droit du travail.
C'est pourtant la première thèse vers laquelle le congrès s'est tourné. En dégageant la tendance d'assimiler le lien du sportif professionnel à son club comme étant celui d'un contrat de louage de services, les congressistes ont déposé un voeu pour demander au Bureau International du Travail de se pencher sur les droits fondamentaux du travailleur sportif.
INTERET GENERAL DU CONGRES
Ce premier congrès de droit sportif de Mexico a eu le mérite de poser avec netteté et franchise un certain nombre de problèmes en les élevant à un assez haut niveau.
Toutefois, on peut regretter qu'il n'y ait pas eu de débâts et que l'on se soit borné à des constatations et à des déclarations quelquefois un peu trop unilatérales. Comme dans toutes les réunions de cette importance et de cette nature, il faut surtout retenir les côtés positifs.
Il est nécessaire que l'échange auquel il a été procédé permette une ouverture sur les mesures à prendre pour la mise en place d'un sport véritable fait social, et que les techniciens du droit puissent apporter à cette mise en place et à son développement la contribution qui doit être la leur.
M. le Bâtonnier Bondoux, du Barreau de Paris, ancien champion olympique de fleuret par équipe à Los Angeles, avait été chargé par l'ensemble des congressistes de remercier nos hôtes, et il n'a pas manqué de souligner cet aspect positif en insistant sur le rôle du sport dans le sens de la dignité humaine sur le plan personnel, et dans le sens de la fraternité sur le plan collectif.
Il faut donc souhaiter que dans ce large cadre plein d'espérance, on passe aux études pratiques et que tous les juristes de tous les pays qui ont déjà une connaissance approfondie des problèmes du sport participent à cet effort.

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