Imprimer Revue EP&S n°262 - NOVEMBRE-DECEMBRE 1996

NATATION : L'UTILISATION DES NAGES HYBRIDES DANS L'APPRENTISSAGE DES NAGES

  • Jean-Jacques Hillion
  • Code : 70262-13

Le langage communément utilisé au bord des bassins entretient souvent des confusions sémantiques. En proposant ses définitions sur les concepts de « nages hybrides », « exercices correctifs » et « éducatifs », l'auteur plaide pour une utilisation raisonnée et fondée de ces nages aux différents niveaux d'apprentissage et de pratique de la natation scolaire et/ou sportive.

L'étude des champs lexicaux et du vocabulaire utilisé couramment dans les activités sportives permet rapidement de s'apercevoir que les termes les plus employés dans un domaine particulier de pratique ne sont pas pour autant les mots dont les définitions apparaissent claires et sans ambiguïté pour leurs utilisateurs. A cet égard, en milieu scolaire ou dans les clubs de natation, il est t'ait un usage fréquent des concepts de « nages hybrides », « exercices correctifs ». et « éducatifs ». La plupart du temps ces notions sont employées indifféremment pour désigner des exercices identiques ou très voisins, dès lors qu'ils sont introduits dans des progressions d'apprentissage.
À travers cet article, nous souhaitons montrer qu'il est possible de distinguer ces trois vocables et. nous voulons justifier l'utilisation des nages hybrides dans les apprentissages en natation.

ESSAI DE DÉFINITION

Les nages hybrides
Utilisé à l'origine dans les sciences naturelles (du latin hybrida = sang mêlé), le concept renvoie à l'idée de la nature composite d'une plante, d'un animal, d'une espèce qui résulte d'un mélange, d'un croisement ou d'une association de deux ou plusieurs caractéristiques qui ne sont pas réunies naturellement.
Parler de « nages hybrides » suppose donc qu'il existe des nages qui ne le sont pas. Les quatre nages de la natation dite sportive (papillon, dos, brasse et crawl) constituent ce que nous appelons les « nages orthodoxes », dûment réglementées et strictement codifiées. Elles renvoient aux pratiques sociales de référence qui fondent la base des représentations de la natation de la plupart des néophytes. Lorsque l'on associe des caractéristiques appartenant à 'une des nages avec des caractéristiques d'une autre nage, par exemple le mouvement des bras de brasse et le battement de jambes du crawl, on construit une « nage hybride ». Pour donner un autre exemple, nous pensons à une nage qui associerait des ondulations jambes de papillon et les mouvements classiques de brasse avec les bras. Ces « constructions » ne modifient pas les principes fondamentaux de la motricité aquatique qui caractérise les nages codifiées dont le but reste la performance. Au regard de l'évolution des techniques de nage et de leur réglementation, et particulièrement en brasse, on peut imaginer que dans un avenir proche, la brasse d'aujourd'hui pourrait aller vers une nage correspondant à ce deuxième exemple.
Par définition les utiles hybrides peuvent donc représenter toutes les formes de propulsion, de respiration et d'équilibre aquatiques mélangeant et combinant les caractéristiques gestuelles spatio-temporelles de la motricité impliquée dans les quatre modes de nages classiques. Il existe de fait un grand nombre de combinaisons possibles articulant les différentes modalités de propulsion-respiration-équilibre des quatre nages codifiées.
Les exercices correctifs
On utilise très souvent le terme « d'éducatifs » pour évoquer des situations ou des exercices destinés à corriger ce qui est apprécié comme une erreur.
Pour désigner ces procédures à visée strictement corrective, il est sans doute préférable de parler « d'exercices correctifs adaptés » ( 1 ). Leurs buts et leurs objectifs sont clairement définis : l'enseignant qui identifie une erreur technique (exemple : l'inspiration unilatérale en crawl qui déséquilibre le nageur et entraîne une dissymétrie fonctionnelle) et qui espère sinon la supprimer du moins la minimiser, propose des exercices susceptibles de pallier le défaut constaté pour améliorer l'efficacité du nageur sur ce point précis. Nous pouvons par exemple demander ici que le nageur s'impose une inspiration tous les 3, 5 ou 7 mouvements de bras qui est de nature à réduire l'ampleur du déséquilibre observé.
Nous considérons qu'un exercice correctif vise toujours à modifier une habitude motrice déjà installée qui s'est souvent fixée, stabilisée à l'insu du sujet (les dissymétries en brasse). Il désigne donc tout exercice destiné à apporter une solution à un problème technique rencontré par le nageur ou un moyen pour corriger un défaut clairement identifié par l'enseignant.
Les éducatifs
Nous admettons que les « éducatifs » en natation peuvent aussi parfois servir « d'exercices correctifs » mais ils n'impliquent pas systématiquement l'idée de correction. Les éducatifs sont prioritairement destinés à élaborer et construire un programme moteur efficace, à renforcer un schéma moteur considéré comme indispensable dans la nage utilisée, à stabiliser un pattern moteur jugé satisfaisant ou encore à consolider un acquis techniquement juste. A titre d'exemples : - nager en rattrapé en conservant les battements des jambes pour favoriser l'amplitude de nage en crawl ou en dos, - travailler le papillon avec les ondulations jambes habituelles mais uniquement avec le bras droit sur une demi-longueur du bassin et avec l'autre bras sur la deuxième demi-longueur pour améliorer la structure rythmique et le trajet moteur des mouvements de bras, - faire réaliser trois ciseaux de jambes en brasse pour un mouvement normal des deux bras afin de consolider la synchronisation train supérieur-train inférieur, constituent des situations motrices que nous appelons « éducatifs ». Aussi, à la différence des nages hybrides, les éducatifs sont imaginés et pensés en fonction des techniques des nages orthodoxes. On parlera par exemple d'un « éducatif crawl » comme nager une longueur uniquement avec le bras droit, puis réaliser le retour avec le bras gauche en maintenant le battement de jambes, ou encore d'un « éducatif dos » tel que nager en dos deux bras simultanés en préservant le battement des jambes sur 6 temps pour un cycle de bras. Les éducatifs reposent le plus souvent sur les techniques des nages complètes qui sont sensiblement modifiées dans leurs structures spatiale, temporelle et/ou rythmique globales pour mettre l'accent sur un point particulier de la nage considérée.
Ainsi, passer successivement sur les trois types de coordination possible du train supérieur (en opposition, en rattrapé et en chevauché) en crawl ou en dos permet de prendre conscience, par contraste, comment s'organise sa nage habituelle. Pour résumer ces essais de définition des trois notions, nous pouvons dire qu'un exercice éducatif affiche une intention délibérée de construction de la motricité en devenir, alors que l'exercice correctif défend plutôt des intentions de déstructuration et de re-construction de la motricité. Nous formulons l'hypothèse que les nages hybrides peuvent constituer une interface entre ces deux types d'exercices.

FONDEMENTS THÉORIQUES DE L'INTÉRÊT DES NAGES HYBRIDES

Dans certains ouvrages, on parle « d'éducatifs » pour désigner ce type de situations utilisées dans l'apprentissage des nages et « corriger » les erreurs techniques du nageur confirmé (2)(3). Nous pensons que les nages hybrides, telles que nous les définissons, dépassent le simple rôle de facteur facilitant et correcteur qui est habituellement attribué aux « éducatifs ». En effet, nous considérons que les nages hybrides peuvent constituer des situations pédagogiques tout aussi intéressantes pour l'apprenti nageur que pour le nageur expert.
Cette affirmation repose en partie sur la connaissance de modèles théoriques de l'apprentissage moteur (4)(5)(6)(7). qui s'appuient sur le concept de « programmes moteurs ». définis comme étant « des suites finies d'instructions ordonnées » (8) stipulant les commandes et les contrôles à effectuer pour réaliser un mouvement particulier et. sur la notion de « schémas moteurs » (ou schèmes) qui désignent « l'organisation commune à tous les actes moteurs possédant une certaine identité de structure » (ibid.). Nous pouvons admettre que la trilogie des fondamentaux de la natation (9) équilibre, respiration et propulsion en milieu aquatique, représente en partie la trame structurelle qu'il faut que le sujet s'approprie pour aller vers le « savoir nager ». Ces schèmes peuvent être analysés comme des programmes moteurs généraux constituant un « canevas » global de l'action motrice. Ainsi, apprendre à nager reviendrait à construire des schémas moteurs répondant aux exigences du milieu aquatique. Ces constructions reposant sur la plasticité du système nerveux sous-jacent à tout apprentissage, l'utilisation des nages hybrides ont pour intention délibérée de solliciter cette propriété, ce qui aboutirait à une adaptation optimale et facilitée à cet environnement spécifique.
Or. de notre point de vue, bon nombre d'apprentissages moteurs destinés à la maîtrise des nages classiques se résument à la construction très stéréotypée de « programmes moteurs » très fermés, rigides et spécifiques à chaque nage (les sacro-saintes progressions d'exercices) que l'on essaie d'automatiser au maximum par un très grand nombre de répétition. Une telle démarche conduit souvent à l'élaboration de patterns moteurs qu'il est très difficile de modifier ou de faire évoluer. Nous en prenons pour preuve le fait qu'un sujet qui a fixé un défaut technique particulier (dissymétrie en brasse, inversion des temps forts-faibles dans l'ondulation jambes en papillon) a toujours de grosses difficultés pour corriger la mauvaise habitude.
Aussi défendons-nous l'idée que l'utilisation de nages hybrides dans l'apprentissage des nages participe à la construction de schémas moteurs suffisamment souples, malléables et modulables qui laissent envisager des adaptations et des corrections plus aisées par la suite tout en permettant « l'intégration des principes invariants et des règles générales d'efficacité » (3). Pour le nageur expert, les nages hybrides - par la « variabilité » (10) qu'elles introduisent dans l'entraînement - contribuent :
? à solliciter des programmes moteurs et des schèmes voisins qui s'articulent dans des combinatoires contribuant à enrichir les « schémas moteurs initiaux » installés dans les phases d'apprentissage,
? à multiplier les rétroactions sensorielles proprioceptives et extéroceptives qui sont autant d'informations de retour (les feed-backs) pouvant faciliter les contrôles moteurs et donc aider à d'éventuelles corrections des gestes appris,
? à favoriser la prise en compte par le sujet lui- même des causes de la modification de ses réalisations déclenchée par des actions motrices peu habituelles,
? à maintenir et renouveler la motivation des nageurs par la diversité et l'originalité parfois surprenante et amusante des situations proposées,
? à développer « l'adaptabilité » plutôt que « l'adaptation » du nageur.


Notons que certains parmi les plus grands entraîneurs ont détendu avec conviction tout l'intérêt de l'utilisation des nages hybrides même avec les nageurs de très bon niveau dont ils s'occupaient (11) (12) (13).
Ce plaidoyer pour les nages hybrides repose sur des modèles des apprentissages moteurs qui font la part belle à la multiplication des expériences motrices concrètement vécues corporellement par le sujet. L'appropriation et l'amélioration des techniques de nages sont d'autant plus aisées que les expériences motrices sont variées et nombreuses. La richesse des nages hybrides, associée à la diversité des « éducatifs » possibles, est à cet égard souvent insoupçonnée. 11 reste cependant, au-delà de l'ensemble de ces idées et convictions de certains entraîneurs et enseignants d'EPS, tout un travail de validation scientifique de ces hypothèses. En effet, si ces démarches pédagogiques sont souvent mises en ?uvre dans les bassins avec des nageurs ou des apprentis-nageurs, elles reposent la plupart du temps sur un empirisme de bon aloi. Il semble indispensable d'envisager des travaux de recherche de type pédagogique et/ou didactique reposant sur une démarche expérimentale éprouvée, afin de vérifier la réelle pertinence de l'utilisation de ces procédés et procédures pédagogiques

QUELLES LIMITES AUX NAGES HYBRIDES

Le travers dans lequel il faut éviter de tomber serait de n'utiliser que ces dernières au détriment des nages orthodoxes. Sous prétexte de revendiquer une démarche qui relèverait exclusivement de l'éducation physique, l'enseignant refusant de faire apprendre à ses élèves les techniques de nage selon les règlements édictés par la fédération passerait sûrement à côté d'un des objectifs de l'EPS en milieu scolaire aujourd'hui (« accéder à la maîtrise de faits de culture »). Nous pensons au contraire que l'acquisition des techniques classiques sont un moment de l'apprentissage dans les activités aquatiques.


La répétition trop importante et « l'engrammation » motrice des seules nages « réinventées » par l'enseignant et l'élève peut conduire à des apprentissages moteurs tout aussi stéréotypés que pour les nages habituelles.Il faut donc se garder de fixer des modalités d'équilibre-respiration-propulsion qui rendraient difficile tout autre apprentissage. Aussi peut-on recommander d'insister sur la nécessité de trouver et proposer des alternances fréquentes entre nages hybrides et nages orthodoxes. Il paraît souhaitable de toujours revenir aux modes de nages classiques après l'utilisation de nages hybrides qui ne peuvent pas constituer une fin en soi. Ces dernières doivent demeurer un moyen parmi d'autres, destiné à enrichir la motricité aquatique de l'élève. Enfin, si nous avons évoqué la possibilité d'imaginer un grand nombre de combinaisons et de mélanges des caractéristiques des quatre nages, il faut bien reconnaître que certaines solutions, théoriquement envisageables sur le papier, peuvent s'avérer difficiles, voire impossibles à réaliser comme exiger, par exemple, des combinaisons controlatérales de différentes nages : le bras droit fait un mouvement de papillon et le gauche un mouvement de brasse pendant que la jambe gauche réalise un battement et la droite un ciseau. Il faut aussi admettre que certaines propositions prennent le risque d'aller à rencontre des principes opérationnels caractérisant l'activité natatoire efficace, auquel cas. vaut-il sans doute mieux les proscrire ou les utiliser avec une certaine prudence. A titre d'exemple, nager en dos « en rattrapé » au niveau des cuisses, non seulement n'apporte pas grand chose, mais peut conduire à installer des patterns moteurs inadaptés.

CONCLUSION

On voit donc à travers cette réflexion qu'il est permis de distinguer en natation exercices correctifs et exercices éducatifs et que les nages hybrides peuvent tout aussi bien être utilisées dans une perspective à visée corrective que pour servir un objectif à visée éducative confirmant en cela leur position intermédiaire. Nous estimons par ailleurs que l'utilisation des nages hybrides peut contribuer à l'enrichissement de la démarche pédagogique des enseignants ou des entraîneurs de natation permettant de renouveler certaines approches de la natation trop souvent centrées sur la répétition exclusive des mêmes procédés d'apprentissage. Il faut cependant en percevoir les limites pour en relativiser l'intérêt. Il est en définitive possible d'affirmer que les nages hybrides ne valent et ne se justifient que dans l'intention et les finalités pédagogiques qui les sous-tendent et par là-même, dans la manière de les utiliser.

Notes bibliographiques


(1) Chollet D., Approche scientifique de la natation sportive. Vigot. Paris. 1990.
(2) Dubois C. et Robin J.-P., Natation. Revue EPS collection « De l'école... aux associations ». Paris. 1985.
(3) Gal N., Savoir nager. Une pédagogie de la natation. Revue EPS collection « De l'école... aux associations », Paris, 1993.
(4) BernsteinN., The coordination and regulation of movement. Pergamon Press, Oxford, 1967.
(5) Adams J.-A., A closed-loop theory of motor learning. Journal of Motor Behavior, 1971,3. 111-150.
(6) Schmidt R.A. Schema theory : implication for movement education. Motor Skill : Theory into practice. 1977, 2. 36-38.
(7) PaillardJ.,Itinéraire pour une psychophysiologie de l'action, Édition Actio. Paris. 1986.
(8) Simonet P., Apprentissages Moteurs. Processus et procédés d'acquisition, Vigot, Paris, 1985.
(9) Catteau R. et Garoff G., L'enseignement de la natation. Vigot, 3e édition. Paris, 1982.
(10) Shapiro D., Schmidt R.N., The schema theory : Recent evidence and developmental implications J.A. Kelso. J.E. Clark, The development of Movement Control and Coordination, Wiley, New York, 1982.
(11) Counsilman J., La natation de compétition, traduit par J.-P. Robin et C. Dubois,
Vigot, Paris, 1986.
(12) Maglischo E.W., Nager plusvite, Édition FNMNS, Traduit par E. Legrand, Mor-zine, 1987.
(13) Costill D.L., Maglischo E.W., Richardson A.B., La natation, traduit par R. Handschuh. Vigot, Paris, 1994.

L'auteur : Jean-Jacques Hillion

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